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Le dessin physionomique appartient généralement aux passionnés, comme M. Ingres ; le dessin de création est le privilège du génie[1].

La grande qualité du dessin des artistes suprêmes est la vérité du mouvement, et Delacroix ne viole jamais cette loi naturelle.

Passons à l’examen de qualités plus générales encore. — Un des caractères principaux du grand peintre est l’universalité. — Ainsi le poëte épique, Homère ou Dante, sait faire également bien une idylle, un récit, un discours, une description, une ode, etc.

De même Rubens, s’il peint des fruits, peindra des fruits plus beaux qu’un spécialiste quelconque.

E. Delacroix est universel ; il a fait des tableaux de genre pleins d’intimité, des tableaux d’histoire pleins de grandeur. Lui seul, peut-être, dans notre siècle incrédule, a conçu des tableaux de religion qui n’étaient ni vides et froids comme des œuvres de concours, ni pédants, mystiques ou néo-chrétiens, comme ceux de tous ces philosophes de l’art qui font de la religion une science d’archaïsme, et croient nécessaire de posséder avant tout la symbolique et les traditions primitives pour remuer et faire chanter la corde religieuse.

Cela se comprend facilement, si l’on veut considérer que Delacroix est, comme tous les grands maîtres, un mélange admirable de science, — c’est-à-dire un peintre complet, — et de naïveté, c’est-à-dire un

  1. C’est ce que M. Thiers appelait l’imagination du dessin.