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Je suis saisi du rut sombre et mystérieux
Qui jadis transportait la Grèce langoureuse,
Quand elle contemplait, terre trois fois heureuse,
L’accouplement sacré des Hommes et des Dieux.

Puis, sur mon sein brûlant, je crois tenir serrée
Quelque idole terrible et de sang altérée,
A qui les longs sanglots des moribonds sont doux

Et j’éprouve, au milieu des spasmes frénétiques,
L’atroce enivrement des vieux Fakirs Indous,
Les extases sans fin des Brahmes fanatiques.




[Sur l’album de Madame Emile Chevalet.]

Au milieu de la foule, errantes, confondues,
Gardant le souvenir précieux d’autrefois,
Elles cherchent l’écho de leurs voix éperdues,
Tristes comme le soir deux colombes perdues
     Et qui s’appellent dans les bois.




Je vis, et ton bouquet est de l’architecture[1] :
C’est donc lui la beauté, car c’est moi la nature ;
Si toujours la nature embellit la beauté,
Je fais valoir tes fleurs... me voilà trop flatté.

  1. Collection Gustave Kahn. Ce quatrain est écrit de la main de Baudelaire au bas d’un billet à lui évidemment adressé, et non signé, dont voici le texte :
    Mardi 3 novembre.
    « Vous m’avez envoyé des vers sans papillon, permettez-moi de vous offrir des fleurs sans vers, et pour me prouver que mon goût a su comprendre le vôtre, mettez-les ce soir à votre boutonnière.
    « Car toujours la nature embellit la beauté. »