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Hélas ! qui n’a gémi sur autrui, sur soi-même[1] ?
Et qui n’a dit à Dieu : « Pardonnez-moi, Seigneur,
Si personne ne m’aime et si nul n’a mon cœur ?
Ils m’ont tous corrompu ; personne ne vous aime ! »

Alors lassé du monde et de ses vains discours,
Il faut lever les yeux aux voûtes sans nuages,
Et ne plus s’adresser qu’aux muettes images,
De ceux qui n’aiment rien consolantes amours.

Alors, alors, il faut s’entourer de mystère,
Se fermer aux regards, et sans morgue et sans fiel,
Sans dire à vos voisins : « Je n’aime que le ciel »,
Dire à Dieu : « Consolez mon âme de la terre ! »

Tel, fermé par son prêtre un pieux monument,
Quand sur nos sombres toits la nuit est descendue,
Quand la foule a laissé le pavé de la rue,
Se remplit de silence et de recueillement.

[1852.]

Quant à moi, si j’avais un beau parc planté d’ifs[2],
Si, pour mettre à l’abri mon bonheur dans l’orage,
J’avais, comme ce riche, un parc au vaste ombrage,
Dédale s’égarant sous de sombres massifs ;

Si j’avais des bosquets, ô rossignols craintifs,
O cygnes, vos bassins ; votre sentier sauvage,

  1. Le Midi hivernal, 24 mars 1892. Poème remis par Baudelaire à M. Hignard.
  2. Le Monde illustré, 2 décembre 1871, sous ce titre, Sonnet inédit de Charles Beaudelaire (sic), et la signature Charles Beaudelaire.