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Et moi, je contemplais avec sollicitude,
Le spectacle émouvant de leur décrépitude !
Puis, un de ces soupirs qu’on ne peut étouffer
S’échappa malgré moi de ma gorge oppressée,
Et mon cœur, encor plein de leur grandeur passée,
Se mit à les apostropher.

O bottes ! leur disais-je, ô bottes infidèles,
Vous êtes, vous aussi, comme les hirondelles,
Des oiseaux légers, inconstants !
Vous aimez le ciel pur et les brises amies ;
Aussi d’un vol léger, vous vous êtes enfuies,
Quand est venu le mauvais temps.

Ainsi, durant les jours pluvieux de novembre,
Me voilà donc contraint de rester dans ma chambre :
Appelant, mais en vain, les beaux jours d’autrefois,
Car la dent des pavés en grosses cicatrices
A gravé sur vos fronts vos états de services ;
Et vous n’entendrez plus ma voix.

Le ciel dont la bonté s’étend sur la nature,
Refuse ses bienfaits à la littérature.
Peut-être, hélas ! l’hiver entier,
Traînant cette existence absurde et malheureuse,
J’attendrai vainement d’une âme généreuse
Un crédit chez quelque bottier.

Oh ! si pareil bienfait vient à tomber des nues,
Je jure de marcher au travers de nos rues
Avec un légitime orgueil.
Et vous, dont je n’ai plus qu’une triste mémoire,
O mes bottes ! rentrez au fond de cette armoire
Qui va vous servir de cercueil.

[1851.]