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moralité de la guerre. La guerre pour la guerre ! eût-il dit volontiers, comme d’autres disent : l’art pour l’art ! convaincu qu’il était que toutes les vertus se retrouvent dans la discipline, dans le sacrifice et dans le goût divin de la mort !

M. de Molènes appartenait, dans l’ordre de la littérature, à la classe des raffinés et des dandys ; il en avait toutes les grandeurs natives, et quant aux légers travers, aux tics amusants que cette grandeur implique souvent, il les portait légèrement et avec plus de franchise qu’aucun autre. Tout en lui, même le défaut, devenait grâce et ornement.

Certainement, il n’avait pas une réputation égale à son mérite. L’Histoire de la Garde mobile, l’Etude sur le colonel La Tour du Pin, les Commentaires d’un Soldat sur le siège de Sébastopol, sont des morceaux dignes de vivre dans la mémoire des poètes. Mais on lui rendra justice plus tard ; car il faut que toute justice se fasse.

Celui qui avait échappé heureusement à tous les dangers de la Crimée et de la Lombardie, et qui est mort victime d’une brute stupide et indocile, dans l’enceinte banale d’un manège, avait été promu récemment au grade de chef d’escadron. Peu de temps auparavant, il avait épousé une femme charmante, près de laquelle il se sentait si heureux que, lorsqu’on lui demandait où il allait habiter, en quelle garnison il allait être confiné, il répondait, faisant allusion aux présentes voluptés de son âme : "En quel lieu de la terre je suis ou je vais, je ne saurais vous le dire, puisque je suis en paradis !"

L’auteur qui écrit ces lignes a longtemps connu M. de Molènes ; il l’a beaucoup aimé autant qu’admiré, et il se flatte d’avoir su lui inspirer quelque