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nation était fière de lui ; il avait reculé les bornes du possible dans l’art de la marche ; il promettait d’aller de plus fort en plus fort. Nul ne s’est encore élevé à sa hauteur.

La France est loin d’être aussi riche en excentriques que l’Angleterre, et l’on ne parviendrait pas à remplir deux ou trois volumes de l’histoire de nos originaux notables. Il en a pourtant existé quel(jues-uns dignes d’être connus : bornons-nous à en rappeler deux ou trois.

Il s’agira d’abord du marquis de Briqueville, personnage fort riche, qui passa pour fou, et qui l’était peut-être un peu : du moins, fit-il tout ce qu’il fallait pour justifier l’idée qu’on avait de lui. Un jour, il brûlait le pavé sous les roues de son brillant équipage ; un de ses chevaux s’abat, la voiture verse, le marquis reçoit une violente contusion. On le rapporte à son hôtel ; il s’emporte, il veut chasser son cocher. Le cocher se justifie ; l’accident ne provient en rien de sa faute ; tout le mal vient d’un des chevaux. — a Puisqu’il en est ainsi, dit le marquis, le cheval sera châtié ; tout délit vaut une peine. » Il fait venir tous les gens de sa maison, intendant, maître d’hôtel, valets de chambre, marmitons, palefreniers ; c’est une véritable cour de justice. Chacun prend place. Le marquis préside. Le coupable est amené ; il conserve, dans son noble maintien, le calme de l’innocence. Le cocher formule l’accusation ; le secrétaire du marquis, remplissant d’office les fonctions d’avocat, présente la défense du quadrupède. Il est long, lourd, sec, plat, tout comme s’il pérorait au parlement ; il cite le Digeste, il crache du latin ; il conclut par demander que son client soit renvoyé à