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auprès d’une honnête femme bien éprise de son mari.

Règle sommaire et générale : en amour, gardez-vous de la lune et des étoiles, gardez-vous de la Vénus de Milo, des lacs, des guitares, des échelles de corde et de tous romans, — du plus beau du monde, — fût-il écrit par Apollon lui-même !

Mais aimez bien, vigoureusement, crânement, orientalement, férocement celle que vous aimez ; que votre amour, — l’harmonie étant bien comprise, — ne tourmente point l’amour d’un autre ; que votre choix ne trouble point l’état. Chez les Incas l’on aimait sa sœur ; contentez-vous de votre cousine. N’escaladez jamais les balcons, n’insultez jamais la force publique ; n’enlevez point à votre maîtresse la douceur de croire aux Dieux, et quand vous l’accompagnerez au temple, sachez tremper convenablement vos doigts dans l’eau pure et fraîche du bénitier.

Toute morale témoignant de la bonne volonté des législateurs, — toute religion étant une suprême consolation pour tous les affligés, — toute femme étant un morceau de la femme essentielle, — l’amour étant la seule chose qui vaille la peine de tourner un sonnet et de mettre du linge fin, — je révère toutes ces choses plus que qui que ce soit, et je dénonce comme calomniateur quiconque ferait de ce lambeau de morale un motif à signes de croix et une pâture à scandale. — Morale chatoyante, n’est-ce pas ? Verres de couleur colorant trop peut-être l’éternelle lampe de vérité qui brille au-dedans ? —