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que votre joie vous donne le frisson. Vous voilà fort empêché dans vos raisonnements platoniques. La vertu et l’orgueil vous crient : Fuis-la ! La nature vous dit à l’oreille : Où la fuir ? Alternatives terribles où les âmes les plus fortes montrent toute l’insuffisance de notre éducation philosophique. Les plus habiles, se voyant contraints par la nature de jouer l’éternel roman de Manon Lescaut et de Leone Leoni ? se sont tirés d’affaire en disant que le mépris allait très bien avec l’amour. — Je vais vous donner une recette bien simple qui non seulement vous dispensera de ces honteuses justifications, mais encore vous permettra de ne pas écorner votre idole, et de ne pas endommager votre cristallisation[1].

Je suppose que l’héroïne de votre cœur, ayant abusé du fas et du néfas, est arrivée aux limites de la perdition, après avoir — dernière infidélité, torture suprême ! — essayé le pouvoir de ses charmes sur ses geôliers et ses exécuteurs[2]. Irez-vous abjurer si facilement l’idéal, ou, si la nature vous précipite, fidèle et pleurant, dans les bras de cette pâle guillotinée, direz-vous avec l’accent mortifié de la résignation : Le mépris et l’amour sont cousins germains ! — Non point ; car ce sont là les paradoxes d’une âme timorée et d’une intelligence obscure. — Dites hardiment, et avec la candeur du vrai philosophe : « Moins scélérat, mon idéal n’eût pas été complet. Je le contemple, et me soumets ; d’une si puissante coquine la grande Nature seule sait ce qu’elle veut faire. Bonheur et raison suprê-

  1. Nous savons que tous nos lecteurs ont lu le Stendhal.
  2. Ainsi que l’Âne Mort.