Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/361

Cette page n’a pas encore été corrigée

un objet de douce sympathie, mais encore de volupté physique, si toutefois vous êtes un de ces esprits sensibles pour qui la beauté est surtout la promesse du bonheur. C’est donc surtout l’association des idées qui fait aimer les laides ; car vous risquez fort, si votre maîtresse grêlée vous trahit, de ne pouvoir vous consoler qu’avec une femme grêlée.

Pour certains esprits plus curieux et plus blasés, la jouissance de la laideur provient d’un sentiment encore plus mystérieux, qui est la soif de l’inconnu, et le goût de l’horrible. C’est ce sentiment, dont chacun porte en soi le germe plus ou moins développé, qui précipite certains poètes dans les amphithéâtres et les cliniques, et les femmes aux exécutions publiques. Je plaindrais vivement qui ne comprendrait pas ; — une harpe à qui manquerait une corde grave !

Quant à la faute d’orthographe qui pour certains nigauds fait partie de la laideur morale, n’est-il pas superflu de vous expliquer comment elle peut être tout un poème naïf de souvenirs et de jouissances ? Le charmant Alcibiade bégayait si bien, et l’enfance a de si divins baragouinages ! Gardez-vous donc, jeune adepte de la volupté, d’enseigner le français à votre amie, — à moins qu’il ne faille être son maître de français pour devenir son amant.

Il y a des gens qui rougissent d’avoir aimé une femme, le jour qu’ils s’aperçoivent qu’elle est bête. Ceux-là sont des aliborons vaniteux, faits pour brouter les chardons les plus impurs de la création, ou les faveurs d’un bas-bleu. La bêtise est souvent l’ornement de la beauté ; c’est elle qui donne aux yeux cette limpidité morne des étangs noirâtres,