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Moreau, un ignoble pion, enflammé de sale luxure et de prêtrophobie belge.

Enfin, pourquoi vous orthographiez Lecomte Delille le nom de M. Leconte de Lisle, le confondant ainsi avec le méprisable auteur des Jardins.

Cher Monsieur, si je voulais pleinement soulager la colère que vous avez mise en moi, je vous écrirais cinquante pages au moins, et je vous prouverais que, contrairement à votre thèse, notre pauvre France n’a que fort peu de poètes et qu’elle n’en a pas un seul à opposer à Henri Heine. Mais vous n’aimez pas la vérité, vous n’aimez pas les proportions, vous n’aimez pas la justice, vous n’aimez pas les combinaisons, vous n’aimez pas le rythme, ni le mètre, ni la rime ; tout cela exige qu’on prenne trop de soins pour l’obtenir. Il est si doux de s’endormir sur l’oreiller de l’opinion toute faite !

Savez-vous bien, Monsieur, que vous parlez de Byron trop légèrement ? Il avait votre qualité et votre défaut, — une grande abondance, un grand flot, une grande loquacité, — mais aussi ce qui fait les poètes : une diabolique personnalité. En vérité, vous me donnez envie de le défendre.

Monsieur, j’ai reçu souvent des lettres injurieuses d’inconnus, quelquefois anonymes, des gens qui avaient sans doute du temps à perdre. J’avais du temps à perdre ce soir, j’ai voulu imiter à votre égard les donneurs de conseils qui m’ont souvent assailli.

Je suis un peu de vos amis ; quelquefois même je vous ai admiré. Je connais à fond la sottise française, et pourtant, quand je vois un littérateur français (faisant autorité dans le monde) lâcher des légèretés, je suis encore pris de rages qui font tout pardonner, même la lettre anonyme.