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que toast malicieux. Je comprends, à la rigueur, que les littérateurs de l’Europe entière veuillent s’associer dans un commun élan d’admiration pour un poète que sa grandeur (comme celle de plusieurs autres grands poètes) rend cosmopolite ; cependant, nous pourrions noter en passant que, s’il est raisonnable de célébrer les poètes de tous les pays, il serait encore plus juste que chacun célébrât, d’abord, les siens. Chaque religion a ses saints, et je constate avec peine que jusqu’à présent on ne s’est guère inquiété ici de fêter l’anniversaire de la naissance de Chateaubriand ou de Balzac. Leur gloire, me dira-t-on, est encore trop jeune. Mais celle de Rabelais ?

Ainsi voilà une chose acceptée. Nous supposons que, mus par une reconnaissance spontanée, tous les littérateurs de l’Europe veulent honorer la mémoire de Shakspeare avec une parfaite candeur.

Mais les littérateurs parisiens sont-ils poussés par un sentiment aussi désintéressé, ou plutôt n’obéissent-ils pas, à leur insu, à une très petite coterie qui poursuit, elle, un but personnel et particulier, très distinct de la gloire de Shakspeare ?

J’ai été, à ce sujet, le confident de quelques plaisanteries et de quelques plaintes dont je veux vous faire part.

Une réunion a eu lieu quelque part, peu importe où. M. Guizot devait faire partie du comité. On voulait sans doute honorer en lui le signataire d’une pauvre traduction de Shakspeare. Le nom de M. Villemain a été inscrit également. Autrefois, il a parlé, tant bien que mal, du théâtre anglais. C’est un prétexte suffisant, quoique cette mandragore sans âme, à vrai dire, soit destinée à faire une