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En ces sortes de cas, il arrive parfois que, pressé, accablé, pétri, écrasé sous le piston de la nécessité, l’esprit s’élance subitement hors de sa prison par un jet inattendu et victorieux.

C’est ce qui arriva probablement au grand romancier. Car un sourire succéda sur sa bouche à la contraction qui en affligeait les lignes orgueilleuses ; son œil se redressa, et notre homme, calme et rassis, s’achemina vers la rue Richelieu d’un pas sublime et cadencé.

Il monta dans une maison où un commerçant riche et prospérant alors se délassait des travaux de la journée au coin du feu et du thé ; il fut reçu avec tous les honneurs dus à son nom, et au bout de quelques minutes exposa en ces mots l’objet de sa visite :

« Voulez-vous avoir après-demain, dans le Siècle et les Débats, deux grands articles Variétés sur les Français peints par eux-mêmes, deux grands articles de moi et signés de mon nom ? Il me faut quinze cents francs. C’est pour vous une affaire d’or. »

Il paraît que l’éditeur, différent en cela de ses confrères, trouva le raisonnement raisonnable, car le marché fut conclu immédiatement. Celui-ci, se ravisant, insista pour que les quinze cents francs fussent livrés sur l’apparition du premier article ; puis il retourna paisiblement vers le passage de l’Opéra.

Au bout de quelques minutes, il avisa un petit jeune homme à la physionomie hargneuse et spirituelle, qui lui avait fait naguère une ébouriffante