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rais réjouir vos yeux maternels par cette traduction d’un des plus grands poètes de ce siècle ; mais la vie littéraire est pleine de cahots et d’empêche- ments, et je crains que l’Allemagne ne me devance dans l’accomplissement de ce pieux hommag-e dû à la mémoire d’un écrivain qui, comme les HotF- mann, les Jean-Paul, les Balzac, est moins de son pays que cosmopolite. Deux ans avant la catastro- phe qui brisa horriblement une existence si pleine et si ardente, je m’efforçais déjà de faire connaître Edgar Poe aux littérateurs de mon pays. Mais alors l’orag-e permanent de sa vie était pour moi chose inconnue ; j’ignorais que ces éblouissantes végétations étaient le produit d’une terre volca- nisée, et quand, aujourd’hui, je compare l’idée fausse que je m’étais faite de sa vie avec ce qu’elle fut réellement, — l’Edgar Poe que mon imagina- lion avait créé, — riche, heureux, — un jeune gen- tleman de génie vaquant quelquefois à la littéra- ture au milieu des mille occupations d’une vie élé- gante, — avec le vrai Edgar, — le pauvre Eddie, celui que vous avez aimé et secouru, celui que je ferai connaître à la France, — celte ironique anti- thèse me remplit d’un insurmontable attendrisse- ment. Plusieurs années ont passé, et son fantôme m’a toujours obsédé. Aujourd’hui, ce n’est pas seulement le plaisir de montrer ses beaux ouvrages qui me possède, mais aussi celui d’écrire au-dessus le nom de la femme qui lui fut toujours si bonne et si douce. Gomme votre tendresse pansait ses bles- sures, il embaumera votre nom avec gloire.

Vous lirez le travail que j’ai composé sur sa vie et ses œuvres ; vous me direz si j’ai bien compris son caractère, ses douleurs, et la nature toute spé-