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plus en plus surexcitée par la dég-oûtante idolâtrie des hommes ; et je suis très indulgent pour Voltaire, trouvant bon, dans sa préface de la Mort de César, tragédie sans femme, sous de feintes excuses de son impertinence, de bien faire remarquer son glorieux tour de force.

Dans Edgar Poe, point de pleurnicheries énervantes ; mais partout, mais sans cesse l’infatigable ardeur vers l’idéal. Comme Balzac qui mourut peut- être triste de ne pas être un pur savant, il a des rages de science. Il a écrit un Manuel du conchyliologiste que j’ai oublié de menlionner.il a, comme les conquérants et les philosophes, une entraînante aspiration vers l’unité ; il assimile les choses morales aux choses physiques. On dirait qu’il cherche à appliquer à la littérature les procédés de la phi- losophie, et à la philosophie la méthode de l’algèbre. Dans cette incessante ascension vers l’infini, on perd un peu l’haleine. L’air est raréfié dans cette littérature, comme dans un laboratoire. On y contemple sans cesse la glorification de la volonté s’appliquant à l’induction et à l’analyse. Il semble que Poe veuille arracher la parole aux prophètes, et s’attribuer le monopole de l’explication rationnelle. Aussi, les paysages qui servent quelquefois de fond à ses fictions fébriles sont-il pâles comme des fantômes. Poe, qui ne partageait guère les passions des autres hommes, dessine des arbres et des nuages qui ressemblent à des rêves de nuages et d’arbres, ou plutôt qui ressemblent à ses étranges personnages, agités comme eux d’un frisson surnaturel et galvanique.

Une fois, cependant, il s’est appliqué à faire un livre purement humain. Xa Narration d’Arthur