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jiommes qu’elle était souvent le résultat d’une très grande énergie vitale inoccupée, quelquefois d’une opiniâtre chasteté, et aussi d’une profonde sensibilité refoulée. La volupté surnaturelle que l’homme peut éprouver à voir couler son propre sang, les mouvements brusques et inutiles, les grands cris jetés en l’air presque involontairement sont des phénomènes analogues. La douleur est un soulagement à la douleur, l’action délasse du repos.

Un autre caractère particulier de sa littérature est qu’elle est tout à fait anti-féminine. Je m’explique. Les femmes écrivent, écrivent avec une rapidité débordante ; leur cœur bavarde à la rame. Elles ne connaissent généralement ni l’art, ni la mesure, ni la logique ; leur style traîne et ondoie comme leurs vêtements. Un très grand et très justement illustre écrivain, George Sand elle-même, n’a pas tout à fait, malgré sa supériorité, échappé à cette loi du tempérament ; elle jette ses chefs-d’œuvre à la poste comme des lettres. Ne dit-on pas qu’elle écrit ses livres sur du papier à lettres ?

Dans les livres d’Edgar Poe, le style est serré, concaténé ; la mauvaise volonté du lecteur ou sa paresse ne pourront pas passer à travers les mailles de ce réseau tressé par la logique. Toutes les idées, comme des flèches obéissantes, volent au même but.

J’ai traversé une longue enfilade de contes sans trouver une histoire d’amour. Je n’y ai pensé qu’à la fin, tant cet homme est enivrant. Sans vouloir préconiser d’une manière absolue ce système ascétique d’une âme ambitieuse, je pense qu’une littérature sévère serait chez nous une protestation utile contre l’envahissante fatuité des femmes, de