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mal qui l’exaspérera lentement ; sa fatiguante obsé- quiosité lui fait l’effet d’une vengeance, d’une ironie, d’un remords incarné dans une bete mystérieuse. Il est évident que la tête du malheureux est trou- blée. Un soir, comme il descendait à la cave avec sa femme, pour une besogne de ménage, le fidèle chat qui les accompagne s’embarrasse dans ses jambes en le frôlant. Furieux, il veut s’élancer sur lui ; sa femme se jette au-devant ; il l’étend d’un coup de hache. Comment fait-on disparaître un cadavre? telle est sa première pensée. La femme est mise dans le mur, convenablement recrépi et bouché avec du mortier sali habilement. Le chat a fui. « Il a compris ma colère, et a jugé qu’il était prudent de s’esquiver. «Notre homme dort du som- meil des justes, et, le matin, au soleil levant, sa joie et son allégement sont immenses de ne pas sentir son réveil assassiné par les caresses odieuses de la bête. Cependant, la justice a fait plusieurs perquisitions chez lui, et les magistrats découragés vont se retirer, quand tout d’un coup : « Vous oubliez la cave. Messieurs », dit-il. On visite la cave, et, comme ils remontent les marches sans avoir trouvé aucun indice accusateur, « voilà que, pris d’une idée diabolique et’d’une exaltation d’orgueil inouï, je m’écriai : Beau mur î Belle construction, en vérité ! on ne fait plus de caves pareilles ! Et, ce disant, je frappai le mur de ma canne à l’endroit même où était cachée la victime. » Un cri profond, lointain, plaintif se fait entendre ; l’homme s’éva- nouit ; la justice s’arrête, abat le mur, le cadavre tombe en avant, et un chat effrayant, moitié poil, moitié plâtre, ^’élance avec son œil unique, san- glant et fou.