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crois que la perversité est une des impulsions primiti- ves du cœur humain, l’une des facultés ou sentiments primaires, indivisibles, qui constituent lo caractère de l’homme. — Qui n’a pas cent fois commis une action folle ou vile, par la seule raison qu’il savait devoir s’en abstenir? N’avons-nous pas une inclination perpétuelle, en dépit de notre jug-ement, à violer ce qui est la loi, seulement parce que nous savons que c’est la loi? Cet esprit de perversité, dis-je, causa ma dernière chute. Ce fut ce désir insondable que l’ûme éprouve de s’afflig-er elle-même, — de violenter sa propre nature, — de faire mal pour le seul amour du mal, — qui me poussa à continuer, et enfin à consommer, la torture que j’avais infligée à cette innocente bête. Un matin, de sang’-froid, j’attachai une corde à son cou, et je le pendis à une branche d’arbre. — Je le pendis en versant d’abondantes larmes et le cœur plein du remords le plus amer ; — je le pandis, parce que ie savais qu’il m’avait aimé et parce que je sentais qu’il ne m’avait donné aucun sujet de colère, — je le pendis, parce que je savais qu’en faisant ainsi je commettais un crime, un péché mortel qui met- tait en péril mon âme immortelle, au point de la placer, si une telle chose était possible, hors de la sphère de la miséricorde infinie du Dieu très miséricordieux et très terrible.

Un incendie achève de ruiner les deux époux, qui se réfugient dans un pauvre quartier. L’homme boit toujours. Sa maladie fait d’effroyables pro- grès, car quelle maladie est comparable à l’alcool? Un soir, il aperçoit sur un des tonneaux du caba- ret un fort beau chat noir, exactement semblable au sien. L’animal se laisse approcher et lui rend ses caresses. Il l’emporte pour consoler sa femme. Le lendemain, on découvre que le chat est borg-ne, et du même œil. Cette fois-ci, c’est l’amitié de l’ani-