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communauté de goûts, et par notre bienveillance pour les animaux ; nos parents nous avaient légué cette passion. Aussi notre maison ressemblait à une ménagerie ; nous avions chez nous des bêtes de toute espèce. » Leurs affaires se dérangent. Au lieu d’agir, l’homme s’enferme dans la rêverie noire de la taverne. Le beau chat noir, l’aimable Pluton, qui se montrait jadis si prévenant quand le maître rentrait, a pour lui moins d’égards et de caresses ; on dirait même qu’il le fuit et qu’il flaire les dangers de l’eau-de-vie et du genièvre. L’homme est offensé. Sa tristesse, son humeur taciturne et solitaire augmentent avec l’habitude du poison. Que la vie sombre de la taverne, que les heures silencieuses de l’ivresse morne sont bien décrites ! Et pourtant c’est rapide et bref. Le repro- che muet du chat l’irrite de plus en plus. Un soir, pour je ne sais quel motif, il saisit la bête, tire son canif et lui extirpe un œil. L’animal borgne et san- glant le fuira désormais, et sa haine s’en accroîtra. Enfin, il le pend et l’étrangle. Ce passage mérite d’être cité :

Cependant le chat guérit lentement. L’orbite de l’œil perdu présentait, il est vrai, un spectacle effrayant ; toutefois, il ne paraissait plus souffrir. Il parcourait la maison comme à l’ordinaire, mais, ainsi que cela devait être, il se sauvait dans une terreur extrême à mon appro- che. Il me restait assez de cœur pour que je m’affligeasse d’abord de cette aversion évidente d’une créature qui m’avait tant aimé. Ce sentiment céda bientôt à l’irrita- tion ; et puis vint, pour me conduire à une chute finale et irrévocable, l’esprit de perversité. De cette force, la philosophie ne tient aucun compte. Cependant, aussi fermement que je crois à l’existence de mon âme, je