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du xviii® siècle. Il paraît que, pendant ses prëcé- dentes misères, Edg-ar Poe avait mis son temps à profit et remué bien des idées. Il y a là une collec- tion remarquable d’appréciations critiques des principaux auteurs ang-jais et américains, souvent des Mémoires français. D’où partait une idée, quelle était son orig-ine, son but, à quelle école elle appar- tenait, quelle était la méthode de l’auteur, salu- taire ou dangereuse, tout cela était nettement, clai- rement et rapidement expliqué. Si Poe attira forte- ment les yeux sur lui, il se fit aussi beaucoup d’en- nemis. Profondément pénétré de ses convictions, il fit une guerre infatigable aux faux raisonne- ments, aux pastiches niais, aux solécismes, aux barbarismes et à tous les délits littéraires qui se commettent journellement dans les journaux et les livres. De ce côté-là, on n’avait rien à lui repro- cher, il prêchait d’exemple ; son style est pur, adé- quat à ses idées, et en rend l’empreinte exacte. Poe est toujours correct. C’est un fait très remar- quable qu’un homme d’une imagination aussi vagabonde et aussi ambitieuse soit en même temps si amoureux des règles, et capable de studieuses analyses et de patientes recherches. On eût dit une antithèse faite chair. Sa gloire de critique nuisit beaucoup à sa fortune littéraire. Beaucoup de gens voulurent se venger. 11 n’est sorte de repro- ches qu’on ne lui ait plus tard jetés à la figure, à mesure que son œuvre grossissait. Tout le monde connaît cette longue kyrielle banale : immoralité, manque de tendresse, absence de conclusions, extravagance, littérature inutile. Jamais la critique française n’a pardonné à Balzac le Grand homme de province à Paris,