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savait pas faire briller son œuvre. Une diction pure, mais une voix sourde, une mélopée monotone, une assez grande insouciance des effets musicaux que sa plume savante avait pour ainsi dire indiqués, satisfirent médiocrement ceux qui s’étaient promis comme une fête de comparer le lecteur avec l’au- teur. Je ne m’en étonne pas du tout. J’ai remarqué souvent que des poètes admirables étaient d’exé- crables comédiens. Cela arrive souvent aux esprits sérieux et concentrés. Les écrivains profonds ne sont pas orateurs, et c’est bien heureux.

Un très vaste auditoire encombrait la salle. Tous ceux qui n’avaient pas vu Edg-ar Poe depuis les jours de son obscurité accouraient en foule pour contempler leur compatriote devenu illustre. Cette belle réception inonda son pauvre cœur de joie. Il s’enfla d’un org-ueil bien lég-ilime et bien excusable. Il se montrait tellement enchanté qu’il parlait de s’établir définitivement à Richmond. Le bruit courut qu’il allait se remarier. Tous les yeux se tournaient vers une dame veuve, aussi riche que belle, qui était une ancienne passion de Poe, rt que l’on soupçonne être le modèle original de sa Lénore, Cependant il fallait qu’il allât quelque temps à New- York pour publier une nouvelle édi- tion de ses Contes. De plus, le mari d’une dame fort riche de cette ville l’appelait pour mettre en ordre les poésies de sa femme, écrire des notes, une préface, etc..

Poe quitta donc Richmond ; mais lorsqu’il se mit en route, il se plaignit de frissons et de fai- blesse. Se sentant toujours assez mal en arrivant à Baltimore, il prit une petite quantité d’alcool pour se remonter. C’était la première fois que cet