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Les unes s’appliquent à satisfaire la rationalité, les autres perçoivent les couleurs et les formes, les autres remplissent un but de construction. La logi- que, la peinture, la mécanique sont les produits de ces facultés. Et, comme nous avons des nerfs pour aspirer les bonnes odeurs, des nerfs pour sentir les belles couleurs, et pour nous délecter au contact des corps polis, nous avons une faculté élémentaire pour percevoir le beau ; elle a son but à elle et ses moyens à elle. La poésie est le produit de cette faculté ; elle s’adresse au sens du beau et non à un autre. C’est lai faire injure que de la soumettre au critérium des autres facultés, et elle ne s’applique jamais à d’autres matières qu’à celles qui sont nécessairement la pâture de l’organe intel- lectuel auquel elle doit sa naissance. Que la poésie soit subséquemment et conséquemment utile, cela est hors de doute, mais ce n’est pas son but ; cela vient par-dessus le marché. Personne ne s’étonne qu’une halle, un embarcadère ou toute autre cons- truction industrielle, satisfasse aux conditions du beau, bien que ce ne fût pas là le but principal et l’ambition première de l’ingénieur ou de l’archi- tecte. » Poe illustra sa thèse par différents mor- ceaux de critique appliqués aux poètes, ses compa- triotes, et par des récitations de poètes anglais. On lui demanda la lecture de son Corbeau. C’est un poème dont les critiques américains font grand cas. Ils en parlent comme d’une très remarquable pièce de versification, un rhythme vaste et compliqué, un savant entrelacement de rimes chatouillant leur orgueil national un peu jaloux des tours de force européens. Mais il paraît que l’auditoire fût désap- pointé par la déclamation de son auteur, qui ne