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monde. Cependant il gagnait de l’argent, et ses travaux littéraires pouvaient à peu près sustenter sa vie ; mais j’ai trouvé, dans quelques aveux des biographes, la preuve qu’il eut de dégoûtantes difficultés à surmonter. Il paraît que, durant les deux dernières années oii on le vit de temps à autre à Richmond, il scandalisa fort les gens par ses habitudes d’ivrognerie. A entendre les récriminations sempiternelles à ce sujet, on dirait que tous les écrivains des Etats-Unis sont des modèles de sobriété. Mais, à sa dernière visite, qui dura près de deux mois, on le vit tout d’un coup propre, élégant, correct, avec des manières charmantes, et beau comme le génie. Il est évident que je manque de renseignements, et que les notes que j’ai sous les yeux ne sont pas suffisamment intelligentes pour rendre compte de ces singulières transformations. Peut-être en trouverons-nous l’explication dans une admirable protection maternelle qui enveloppait le sombre écrivain, et combattait avec des armes angéliques le mauvais démon né de son sang et de ses douleurs antécédentes.

A cette dernière visite à Richmond, il fit deux lectures publiques. Il faut dire un mot de ces lectures, qui jouent un grand rôle dans la vie littéraire aux Etats-Unis. Aucune loi ne s’oppose à ce qu’un écrivain, un philosophe, un poète, quiconque sait parler, annonce une lecture, une dissertation publique sur un objet littéraire ou philosophique. Il fait la location d’une salle. Chacun paie une rétribution pour le plaisir d’entendre émettre des idées et phraser des phrases telles quelles. Le public vient ou ne vient pas. Dans ce dernier cas, c’est une spéculation manquée, comme toute autre spéculation