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possédait encore une écriture incomparablement belle. (Je trouve cette remarque bien américaine.) M. Kennedy lut une page seul et, ayant été frappé par le style, il lut la composition à haute voix. Le comité vota le prix par acclamation au premier des génies qui sût écrire lisiblement. L’enveloppe secrète fut brisée, et livra le nom alors inconnu de Poe.

L’éditeur parla du jeune auteur à M. Kennedy dans des termes qui lui donnèrent l’envie de le connaître. La fortune cruelle avait donné à M. Poe la physionomie classique du poète à jeun. Elle l’avait aussi bien grimé que possible pour l’emploi. M. Kennedy raconte qu’il trouva un jeune homme que les privations avaient aminci comme un sque- lette, vêtu d’une redingote dont on voyait la grosse trame, et qui était, suivant une tactique bien connue, boutonnée jusqu’au menton, de culottes en guenilles, de bottes déchirées sous lesquelles il n’y avait évidemment pas de bas, et avec tout cela un air fier, de grandes manières, et des yeux éclatants d’intelligence. Kennedy lui parla comme un ami, et le mit à son aise. Poe lui ouvrit son cœur, lui raconta toute son histoire, son ambition et ses grands projets. Kennedy alla au plus pressé, le conduisit dans un magasin d’habits, chez un fripier, aurait dit Lesage, et lui donna des vêtements convenables ; puis il lui fit faire des connaissances.

C’est à cette époque qu’un M. Thomas White, qui achetait la propriété du Messager littéraire du Sud, choisit M. Poe pour le diriger et lui donna 2.5oo francs par an. Immédiatement celui-ci épousa une jeune fille qui n’avait pas un sol. (Cette phrase n’est pas de moi ; je prie le lecteur de remarquer le