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chaire du maître des études classiques ; l’autre, du maî- tre d’anglais et de mathématiques. Répandus à travers la salle et se croisant, dans une irrégularité sans fin, étaient d’innombrables bancs et des pupitres, noirs, an- ciens et usés par le temps, désespérément écrasés sous des livres bien étrillés et si bien agrémentés de lettres initiales, de noms entiers, de figures grotesques, etd’au- Ires chefs-d’œuvre du couteau, qu’ils avaient entièrement perdu la forme qui constituait leur pauvre individualité dans les anciens jours. A une extrémité de la salle, un énorme baquet avec de l’eau, et, à l’autre, une horloge d’une dimension stupéfiante.

Enfermé dans les murs massifs de cette vénérable académie, je passai, sans trop d’ennui et de dégoût, les années du troisième lustre de ma vie. Le cerveau fécond do l’enfance n’exige pas d’incidents du monde extérieur j)Our s’occuper ou s’amuser, et la monotonie sinistre en apparence de l’école étaitrcmplie d’excitations plus inten- ses que ma jeunesse hâtive n’en tira jamais de la luxure, ou que celles que ma pleine maturité a demandées au crime. Encore faut-il croire que mon premier dévelop- pement mental eut quelque chose de peu commun, et . même quelque chose de tout à fait\extra-commuu^En ’c général, les événements delà première existence laissent rarement sur l’humanité arrivée à l’âgemûr une impres- sion bien définie. Tout est ombre grise, tremblotant et irrégulier souvenir, fouillisconfus do plaisirs etde peines fantasmagoriques. Chez moi, il n’en fut point ainsi. Il faut que j’aie senti dans mon enfance avec l’énergie d’un homme ce que je trouve maintenant estampillé sur ma mémoire en lignes aussi vivantes, aussi profondes et aussi durables que les exergues des médailles carthagi- noises.

Encore, comme faits (j’entends le mot faits dans le sens restreint des gens du monde), quelle pauvre mois- son pour le souvenir ! Le réveil du matin, le .soir, l’ordre du coucher ; les leçons à apprendre, les récitations, les