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d’Edg-ar Poe sont pour ainsi dire biographiques. On trouve l’homme dans l’œuvre. Les personnages et les incidents sont le cadre et la draperie de ses souvenirs.

Mes plus matineuses impressions de la vie de collèg-e sont liées à une vaste et extravagante maison du style d’Elisabeth, dans un village brumeux d’Angleterre, où était un grand nombre d’arbres gigantesques et noueux, et où toutes les maisons étaient excessivement anciennes. En vérité, cette vénérable vieille ville avait un aspect fantasmagorique qui enveloppait et caressait l’esprit comme un rêve. En ce moment même, je sens en imagi- nation le frisson rafraîchissant de ses avenues profondé" ment ombrées ; je respire l’émanation de ses mille taillis, et je tressaille encore, avec une indéfinissable volupté, à la note profonde et sourde de la cloche, déchirant à chaque heure, de son rugissement soudain et solennel, la quiétude de l’atmosphère brunissante dans laquelle s’allongeait le clocher gothique, enseveli et endormi.

Je trouve peut-être autant de plaisir qu’il m’est donné d’en éprouver maintenant à m’appesantir sur ces minu- tieux souvenirs de collège. Plongé dans la misère comme je le suis, misère, hélas ! trop réelle, on me pardonnera de chercher un soulagement bien léger et bien court, dans ces minces et fugitifs détails. D’ailleurs, quelque trivials et mesquins qu’ils soient en eux-mêmes, ils prennent, dans mon imagination, une importance toute particulière, à cause de leur intime connexion avec les lieux et l’époque où je retrouve maintenant les premiers avertissements ambigus de la Destinée, qui depuis lors m’a si profondément enveloppé de son ombre. Laissez- moi donc me souvenir.

La maison, je l’ai dit, était vieille et irrégulière. Les terrains étaient vastes, et un haut et solide mur de bri- ques, revêtu d’une couche de mortier et de verre pilé, en faisait le circuit. Le rempart de prison formait la limite