Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/198

Cette page n’a pas encore été corrigée

ont cru que c’était un jeune gentleman riche, écri- vant peu, produisant ses bizarres et terribles créa- tions dans les loisirs les plus riants, et ne connais- sant la vie littéraire que par de rares et éclatants succès. La réalité fut le contraire,

La famille de M. Poe était une des plus respec- tables de Baltimore. Son grand-père était quarter master général * dans la Révolution, et La Fayette l’avait en haute eslime et amitié. La dernière fois qu’il vint visiter ce pays, il pria sa veuve d’a- g-réer les témoignages solennels de sa reconnais- sance pour les services que lui avait rendus son mari. Son arrière-grand-père avait épousé une fille de l’amiral anglais Mac Bride, et par lui la famille Poe était alliée aux plus illustres maisons d’Angleterre. Le père d’Edgar reçut une éduca- tion honorable. S’étant violemment épris d’une jeune et belle actrice, il s’enfuit avec elle et l’é- pousa. Pour mêler plus intimement sa destinée à la sienne, il voulut aussi monter sur le théâtre. Mais ils n’avaient ni l’un ni l’autre le génie du métier, et ils vivaient d’une manière fort triste et fort précaire. Encore la jeune dame s’en tirait par sa beauté, et le public charmé supportait son jeu médiocre. Dans une de leurs tournées, ils vinrent à Richmond , et c’est là que tous deux moururent, à quelques semaines de distance l’un de l’autre, tous deux de la même cause : la faim, le dénuement, la misère.

Ils abandonnaient ainsi au hasard, sans pain, sans abri, sans ami, un pauvre petit malheureux que, d’ailleurs, la nature avait doué d’une manière

  • Mélange des fonctions de chef d’Etat-naajor et d’intendant.