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ser el d’écrire dans un pays où il y a vingt, trente millions de souverains, que d’ailleurs vous avez l’ntendu dire qu’aux Etats-Unis il existait une tyran- nie bien plus cruelle et plus inexorable que celle d’un monarque, qui est celle de l’opinion, — alors, oh ! alors, vous verrez ses yeux s’écarquiller et jeter des éclairs, la bave du patriotisme blessé lui monter aux lèvres, et l’Amérique, par sa bouche, lancera des injures à lamétaphysique et ài’Europe, sa vieille mère. L’Américain est un être positif, vain de sa force industrielle, et un peu jaloux de l’ancien continent. Quant à avoir pitié d’un poète que la douleur et l’isolement pouvaient rendre fou, il n’en a pas le temps. 11 est si fier de sa jeune grandeur, il a une foi si naïve dans la loute-puissancc de l’in- dustrie, il est tellement convaincu qu’elle finira par manger le Diable qu’il a une certaine pitié pour toutes ces rêvasseries. En avant, dit-il, eu avant, et négligeons nos morts. Il passerait volontiers sur les âmes solitaires et libres, et les foulerait aux pieds avec autant d’insouciance que ses immenses lignes de fer les forets abattues, et ses bateaux- monstres les débris d’un bateau incendié la veille. 11 est si pressé d’arriver. Le temps et l’argent, tout est là.

Quelque temps avant que Balzac descendît dans

te gouffre final en poussant les nobles plaintes d’un léros qui a encore de grandes choses à faire, Sdgar Poe, qui a plus d’un rapport avec lui, tom- bait frappé d’une mort affreuse. La France a perdu in de ses plus grands génies, et l’Amérique un romancier, un critique, un philosophe qui n’était guère fait pour elle. Beaucoup de personnes igno- rent ici la mort d’Edgar Poe, beaucoup d’autres