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anathèrae spécial, et arguë contre eux des vices de caractère que sa persécution leur a donnés. Que ne fit pas Hoffmann pour désarmer la destinée? Que n’entreprit pas Balzac pour conjurer la fortune ? Hoffmann fut obligé de se faire brûler l’épine dorsale au moment tant désiré où il commençait à être à l’abri du besoin, où les libraires se dispu- taient ses contes, où il possédait enfin cette chère bibliothèque tant rêvée. Balzac avait trois rêves : une grande édition bien ordonnée de ses œuvres, l’acquittement de ses dettes, et un mariage depuis longtemps choyé et caressé au fond de son esprit ; grâce à des travaux dont la somme effraye l’ima- gination des plus ambitieux et des plus laborieux, l’édition se fait, les dettes se payent, le mariage s’accomplit. Balzac est heureux sans doute. Mais la destinée malicieuse, qui lui avait permis de met- tre un pied dans sa terre promise, l’en arracha violemment tout d’abord. Balzac eut une agonie horrible et digne de ses forces .

Y a-t-il donc une Providence diabolique qui prépare le malheur dès le berceau ? Tel homme, dont le talent sombre et désolé vous fait peur, a été jeté avec préméditation dans un milieu qui lui était hostile. Une âme tendre et délicate, un Vau- venargues, pousse lentement ses feuilles maladives dans l’atmosphère grossière d’une garnison. Un esprit amoureux d’air et épris de la libre nature se débat longtemps derrière les parois étouffantes d’un séminaire. Ce talent bouffon, ironique et ultra-grotesque, dont le rire ressemble quelque- fois à un hoquet ou à un sanglot, a été encagé dans de vastes bureaux à cartons verts, avec des hommes à lunettes d’or. Y a-t-il donc des âmes