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la poésie d’un tableau doit être faite par le spectateur.

— Comme la philosophie d’un poème par le lecteur. — Vous y êtes, c’est cela même.

— La poésie n’est donc pas une chose philosophique ? — Pauvre lecteur, comme vous prenez le mors aux dents, quand on vous met sur une pente !

La poésie est essentiellement philosophique ; mais comme elle est avant tout fatale, elle doit être involontairement philosophique.

— Ainsi, la poésie philosophique est un genre faux ? — Oui. — Alors, pourquoi parler de M. de Senneville ?

— Parce que c’est un homme de quelque mérite. — Nous parlerons de son livre, comme d’une tragédie où il y aurait quelques bons mots.

Du reste, il a bien choisi, — c’est-à-dire la donnée la plus ample et la plus infinie, la circonférence la plus capace, le sujet le plus large parmi tous les sujets protestants, — Prométhée délivré ! — l’humanité révoltée contre les fantômes ! l’inventeur proscrit ! la raison et la liberté criant : justice ! — Le poète croit qu’elles obtiendront justice, — comme vous allez voir :

La scène se passe sur le Caucase, aux dernières heures de la nuit. Prométhée enchaîné chante, sous le vautour, son éternelle plainte, et convoque l’humanité souffrante au rayonnement de la prochaine liberté. — Le chœur — l’humanité — raconte à Prométhée son histoire douloureuse : — d’abord l’adoration barbare des premiers âges, les oracles de Delphes, les fausses consolations des Sages, l’opium et le laudanum d’Épicure, les vastes orgies