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elle pense quelquefois un peu à cet homme, et ne peut pas s’empêcher de rêver à cette existence plus douce, plus riche, plus décente, qu’elle aurait pu mener avec lui. Mais elle se reproche cette pensée comme un crime, et lutte contre cette tendance. — Je présume que voilà un élément dramatique. — Vous avez déjà deviné que notre ouvrier saisira avec joie le prétexte de sa jalousie surexcitée, pour cacher à lui-même qu’il en veut surtout à sa femme de sa résignation, de sa douceur, de sa patience, de sa vertu. — Et cependant il l’aime, mais la boisson et la misère ont déjà altéré son raisonnement. — Remarquez, de plus, que le public des théâtres n’est pas familiarisé avec la très fine psychologie du crime, et qu’il eût été bien difficile de lui faire comprendre une atrocité sans prétexte.

En dehors de ces personnages, nous n’avons que des êtres accessoires : peut-être un ouvrier farceur et mauvais sujet, amant de la sœur, — des filles,

— des habitués de barrières, de cabarets, d’estaminets, — des matelots, des agents de police.

Voici la scène du crime. — Remarquez bien qu’il est déjà prémédité. L’homme arrive le premier au rendez-vous. Le lieu a été choisi par lui. — Dimanche soir. — Route ou plaine obscure. — Dans le lointain, bruits d’orchestres de bastringue. — Paysage sinistre et mélancolique des environs de Paris. — Scène d’amour, — aussi triste que possible,

— entre cet homme et cette femme ; — il veut se faire pardonner ; — il veut qu’elle lui permette de vivre et de retourner près d’elle. Jamais, il ne l’a trouvée si belle... Il s’attendrit de bonne foi. — Il en redevient presque amoureux, il désire, il supplie. La pâleur, la maigreur la rendent plus intéres-