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disait récemment au poète chargé de composer quelque chose en l’honneur du tragique anglais : "Tâchez de glisser là-dedans l’éloge des classiques français, et puis ensuite, pour mieux honorer Shakspeare, nous jouerons Il ne faut jurer de rien ! " C’est un petit proverbe d’Alfred de Musset.

Parlons un peu du vrai but de ce grand jubilé. Vous savez, monsieur, qu’en 1848 il se fit une alliance adultère entre l’école littéraire de 1830 et la démocratie, une alliance monstrueuse et bizarre. Olympio renia la fameuse doctrine de l’art pour l’art, et depuis lors, lui, sa famille et ses disciples, n’ont cessé de prêcher le peuple, de parler pour le peuple, et de se montrer en toutes occasions les amis et les patrons assidus du peuple. "Tendre et profond amour du peuple ! " Dès lors, tout ce qu’ils peuvent aimer en littérature a pris la couleur révolutionnaire et philanthropique. Shakspeare est socialiste. Il ne s’en est jamais douté, mais il n’importe. Une espèce de critique paradoxale a déjà essayé de travestir le monarchiste Balzac, l’homme du trône et de l’autel, en homme de subversion et de démolition. Nous sommes familiarisés avec ce genre de supercherie. Or, monsieur, vous savez que nous sommes dans un temps de partage, et qu’il existe une classe d’hommes dont le gosier est obstrué de toasts, de discours et de cris non utilisés, dont, très naturellement, ils cherchent le placement. J’ai connu des gens qui surveillaient attentivement la mortalité, surtout parmi les célébrités, et couraient activement chez les familles et dans les cimetières pour faire l’éloge des défunts qu’ils n’avaient jamais connus. Je vous signale M. Victor Cousin comme le prince du genre.

Tout banquet, toute fête sont une belle occasion pour donner satisfaction à ce verbiage français ; les orateurs sont le fonds qui manque le moins ; et la petite coterie caudataire de ce poète (en qui Dieu, par un esprit de mystification