de conserver la vie à son pere et à son fils, parcequ’il y a eu une volonté de quelques hommes qui l’ont défendu avec quelques formalités ; d’être au contraire obligé de les tuer soi-même, parceque ces hommes-là vous l’ont ordonné avec les mêmes formes. Eussent-ils été cent millions d’hommes unanimes ; cette volonté-là eût-elle été revêtue de tout ce que vous appellez forme, elle n’aura jamais été une loi, mais précisément tout le contraire. En tout temps le fils, le pere, qui auroit dit, " prenez ma propre vie puisque vous en avez la force, mais je n’égorgerai point mon pere, je n’égorgerai point mon fils " , auroit fait acte d’homme libre et vertueux. Le magistrat qui auroit dit, " cherchez ailleurs des assassins, mais je ne frapperai point de mort ce fils, ce pere, juste, bienfaisant, qui respecte le sang de celui qu’il a fait naître, ou de celui qui lui donna le jour " , auroit fait acte d’homme libre et vertueux. Dans tous les temps, dans tous les lieux, l’homme, le magistrat qui auroit senti cet éclat de lumiere dans son esprit, ce sentiment de justice et de tendresse dans son cœur, et qui les auroit étouffés, auroit fait acte d’un lâche et vil esclave, souillé d’un crime horrible. Il ne falloit qu’un pareil exemple pour persuader aux hommes la fausseté de ce principe tant et si universellement adopté dans tous les etats mixtes. C’est par cette erreur principale qu’ils tiennent tous plus ou moins au despotisme arbitraire : vérité fort facile à démontrer, quoique profondément oubliée par les législateurs spéculatifs, et pratiques. Le vrai caractere du despotisme arbitraire, c’est que la volonté humaine, même injuste et déraisonnable, puisse non seulement violer les propriétés, opprimer les libertés d’un citoyen, mais encore l’obliger à cette violation, à cette oppression des propriétés et libertés de ses concitoyens. Que ce soit la volonté d’un seul ou la volonté de plusieurs, en quelque nombre que vous les supposiez, aussitôt qu’elle est contradictoire à la loi de justice par essence, à l’ordre bienfaisant de la nature, aussi-tôt qu’elle est oppressive, usurpatrice, destructive, ses commandements sont purement arbitraires : la force prédominante qui les appuie est leur seul titre ; ils n’ont rien de commun avec l’autorité ; tout au contraire ils font précisément ce qu’elle doit empêcher, et ils empêchent ce qu’elle doit procurer.
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