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subsistances, tous les objets qui servent aux jouissances des Européens enrichis par leurs peines, car la politique mercantile a fait sévérement pro[255]hiber aux Anglois d’Amérique la culture ou la fabrication des denrées et des ouvrages de l’Europe.

Un quatrieme voyage ramene en Angleterre le sucre de ces Colons, leur tabac, leur indigo ; un cinquieme les réexporte dans le reste du monde commerçant.

Eh bien ! Dès le premier voyage, ces marchands d’hommes qui vont à la traite des Negres, n’auroient qu’à demander des cannes de sucre au lieu de demander des créatures humaines, on les leur donneroit grosses, succulentes, délicieuses ; car toute l’Afrique est en pleine, les hommes et les animaux en vivent habituellement là, suivant le rapport unanime des Voyageurs et des Géographes.

Le sucre seroit donc infiniment plus commun et moins cher pour les consommateurs Anglois, si l’on eût pris le parti le plus simple et le plus naturel, celui de laisser les negres dans leurs propres [256] pays cultiver leurs cannes en paix, et de leur donner l’eau-de-vie, le fer, les verroteries, et les autres marchandises d’Europe en échange, non pas de leurs enfants ou de leurs voisins, mais de leur sucre brut et de leur indigo : car cette plante y croit aussi tout naturellement.

On pourroit citer une infinité de semblables exemples.

Il restera donc démontré que la prospérité de quelques-uns des arts stériles, même celle de tous les arts de cette espece, est un signe équivoque de la prospérité générale des empires, puisqu’elle peut être apparente et momentanée, n’ayant pour cause que le luxe public ou privé, que des malheurs naturels, que des pertes causées par les erreurs ou la cupidité d’une administration vicieuse.

C’est une des principales vérités économiques dont notre siecle a besoin que les preuves soient souvent répétées pour [257] détruire des préjugés trop enracinés, et des routines trop invétérées de quelques gouvernements politiques, fondées sur cette fausse opinion, que la prospérité de l’art stérile est une marque infaillible du bien-être des empires.