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entoure aujourd’hui mon mari, d’apporter moi-même ici le tribut de ma reconnaissance, de ma foi… » (Elle a lu ces mots presque religieusement avec l’expression d’un noble orgueil voulu, et puis elle s’arrête, la voix devient timide.) J’avais ajouté : « de tout mon bonheur », sur le brouillon… mais il s’agissait d’un journal… alors, par pudeur, j’avais effacé !…

(Cette fois, elle pleure, comme une pauvre femme.)
BOUGUET, (à voix étranglée.)

Ah ! tu sauras tout, Jeanne, et c’est bien peu de chose !… Tu comprendras… Le cri de négation que je viens de pousser était un cri de révolte contre moi-même ; mais, ma très chère bien-aimée, tu verras que toute ma pensée t’est restée fidèle… Ce que tu as écrit là, c’est bien trop beau pour moi ! Pourtant, malgré les larmes qui coulent de tes yeux, je t’affirme que pas une ligne n’est à retrancher, et que tu peux les signer de cette main-là…

(Il lui saisit la main et la baise avec tendresse.)
MADAME BOUGUET, (avec un lourd soupir.)

Fasse le ciel que cela soit vrai ! Alors, si ce pauvre article n’a pas menti, si tu juges qu’il peut paraître au jour… devant tout Paris demain matin… que je n’aurai pas à rougir de l’avoir écrit… (Elle le regarde encore en une interrogation craintive, un appel émouvant de confiance, comme si elle lui remettait le dépôt de sa vie, le soin de son honneur.) Alors, chasseur ! (Elle appelle à voix forte. Le groom s’avance.) Voici les épreuves ; elles sont corrigées.

(Elle les tend au chasseur en silence. Il s’en va. À peine le chasseur a-t-il disparu, qu’elle désigne à Bouguet, muette du doigt, l’allée de gauche. C’est Blondel qui guettait et se hâte.)