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semble que je n’ai pas eu mon compte. On m’a fait passer du salon à la cuisine… ce salon où je rentre en étranger maintenant, sur la pointe des pieds, et où je me vois encore, en robe, là, courir, avec des nœuds bleus dans les cheveux, entre les meubles !… Tiens, ce fauteuil, où je me suis cogné, enfant…

LIANE, (vivement.)

Mais non, mais non, Maurice, ces privations, tu crois les avoir éprouvées… ces choses-là, tu ne les sentais pas, enfant. C’est maintenant, avec ton intelligence que tu les crées…

MAURICE.

Je ne les sentais pas ! Ah ! par exemple ! J’ai tout senti, va ! Je sentais que tout allait m’échapper ! Mon cœur ne battait plus, non !… Quand je me couchais, le soir, j’avais le pressentiment qu’on ne voulait pas de moi et que j’allais démarrer. Et je voulais me raccrocher… Ainsi, un matin que tu m’appelais, en haut de l’escalier… j’avais douze ans… que je me suis blessé dans l’escalier, tu te rappelles ?

LIANE.

Mais oui, je me rappelle, tu avais un trou au front, tu saignais !…

MAURICE.

Eh bien, c’est parce que j’avais entendu ta voix, et j’avais trop couru pour être plus vite près de toi.

LIANE.

Maurice !… mon petit !… (Elle lui prend la tête. Elle l’embrasse avec émotion. Ils s’étreignent.) Mais je t’aime bien, tu sais, je t’aime ! Tu as eu raison de parler. Embrasse-moi…