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dire tous les matins : est-elle satisfaisante, ou est-il tolérable ?… Il faut savoir se laisser métamorphoser par l’existence, sans protester. Du reste, c’est facile… Prenons enfin l’habitude d’être polis… d’être unis, et, par le fait seul du mariage, nous serons forcés de vivre complètement tous les instants ensemble. Ceci est le meilleur du mariage… Depuis quelques années, nous vivions trop séparés… Les gens qu’on voit tous les jours de très près, même une maîtresse, même un amant, on perd l’habitude de les juger ; on manque de recul pour le faire ; mais, si l’on s’éloigne, c’est absolument comme lorsqu’on voit apparaître sa maîtresse au détour d’une rue et qu’on la regarde avancer… tout à coup l’œil acquiert une nouveauté et une sévérité qu’on n’avait pas tout à l’heure quand on lui donnait le bras.

LIANE.

Ce qui revient à dire ?…

RANTZ.

Ce qui revient à dire, mon petit, que l’amour n’est pas aveugle comme on le prétend, il est presbyte ; il voit mal ce qui est près, il voit terriblement ce qui est loin. Eh bien, recourons vite l’un à l’autre ; serrons-nous d’encore plus près ; retrouvons-nous dans ce champ visuel rapproché où les défaites s’atténuent, s’effacent presque, mais faisons-le d’une façon définitive, au moyen de ces chaînes que les hommes ont appelées le mariage.

LIANE.

Ah ! Je te retrouve là avec ton terrible scepticisme ! Ça vous donne des frissons, ces paroles-là ! Crois-tu, Paul, que le blé puisse repousser dans un terrain aussi ingrat, aussi desséché ?