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C’est un type très répandu. Il existe à des milliers d’exemplaires dans la vie de Paris et d’ailleurs ; ce sont des obscurs, perdus dans la foule ; ils sont généralement intelligents et précocement sensibles. Ils possèdent une conscience parfaite de leur condition sociale. Je les ai vus, je les ai observés. Eh bien, quelle est l’observation générale, que j’en ai retirée et qui constitue le sujet même de L’Enfant de L’Amour ? Celle-ci : chez un jeune homme l’amoralité ingénue, engendrée nécessairement, logiquement, par une éducation faussée et par le déplacement des notions ordinaires de la vie ; mais cette amoralité se mélangeant, avec candeur et sans apprêt, aux instincts les meilleurs, au grand rythme éternel du sentiment. L’équilibre habituel est rompu. Seulement, cherchez et vous retrouverez vite toutes les noblesses et toutes les beautés de l’instinct pur qu’il y a dans l’homme : tendresse, abnégation, courage. Et c’est un duel effrayant et charmant que ce pire au service du meilleur, que cet amalgame de beautés et de laideurs inconscientes chez des êtres qui vivent en marge de la société, sans autre guide que leur faible conscience ingénue, et qui ne sont pas appelés aux festins ordinaires des hommes, aux festins de la tendresse et des joies épurées.

Pour moi, je trouve ce sujet émouvant : c’est une intéressante lutte que celle où se précipite ce petit être têtu qui fonce au hasard de son âme, de la vie et des circonstances, pour défendre sa mère. Que de mélancolie dans ses tendresses ! Et je vois au-dessus de ces deux êtres, mère et fils, je vois la nature, l’immense, terrible et belle nature faisant, à travers toutes les entraves des hommes, son œuvre éternelle, la nature que rien n’étouffe, que rien n’arrête, et dont on observe