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Tu ne sais pas, toi. Tu n’es qu’un enfant… Tu ne connais pas ma vie… elle était là, et pas ailleurs…

MAURICE, (avec une irritation jalouse dans la voix.)

Certainement, toi seule peux évaluer ta vie !… Mais, sans bien savoir, il me semble, sapristi, maman, que son prestige ne s’est pas, tout de même, étendu sur ton existence entière !… Il n’en est pas moins vrai qu’avant de le connaître tu as profondément aimé… rappelle-toi, c’est sûr… mais oui, tu as profondément aimé… Jacques Réchetal.

LIANE, (reniant son passé d’une dénégation violente.)

Non, ne le crois pas. Ce n’est pas vrai. On te l’a dit. Je l’ai peut-être cru, parce que je ne savais pas ce que c’était qu’aimer ! Jamais… Personne… que lui !… lui !… lui !…

MAURICE.

Tu le crois maintenant ! Tu as eu des heures heureuses… Toi-même affirmais qu’autrefois tu avais aimé…

LIANE.

Qui ?

(Silence. Maurice hésite tout à coup.)
MAURICE, (timidement.)

Mon père.

(Il a prononcé le mot inusité presque bêtement, comme étonné de sa sonorité. Un temps.)
LIANE.

Ah ! ça, mon petit… ça, c’était à dix-huit ans ! Redonne-moi cet âge-là ! Redonne-moi ces printemps ! Redonne-moi ces étés de banlieue ! Redonne-moi l’automne à Thomery !… Je n’étais rien, je débutais, je venais de quitter mon maga-