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que je ne sois pas même touché, mais mon devoir est de ne vous dire que des paroles raisonnables. Tout nous interdit de devenir plus que des camarades d’un jour. Vous vous en rendez compte, n’est-ce pas ?

NELLIE.

Je suis absolument de votre avis… Parlons d’autre chose, vite… vite…

MAURICE.

Pourquoi ? Parlons-en au moins naturellement, très posément, comme s’il s’agissait d’un autre que moi et d’une autre que vous. (Il s’assied sur le canapé, à côté d’elle qui demeure debout.) Alors, il y a réellement tant de temps que vous pensez à moi ? Nous nous sommes si peu vus, pourtant…

(Elle se décide à sourire, un peu rassurée, et découvre la pointe de son regard.)
NELLIE.

Et encore, vous savez, je mens pour ne pas avoir l’air d’être trop bête, car c’est encore plus ancien ! Je n’ai même jamais osé vous l’avouer dans les lettres… Oui… vous habitiez avec votre mère rue Margueritte, tout près de chez nous, après la mort de ma mère à moi. Vous aviez, je crois, une quinzaine d’années, vous portiez des petits cols rabattus ; vous voyez l’âge que je pouvais avoir, n’est-ce pas ? Je vous voyais passer, sortir avec un stick à la main. Je savais que vous étiez le fils… le fils, songez donc ! Car déjà si jeune, sans bien comprendre, j’avais deviné tant de choses !… Ma bonne m’avait déjà laissé entendre où mon père se rendait quand il sortait de chez nous. On est précoce, quand on est triste !… Je me souviens qu’à l’heure où vous passiez sur le trottoir, je jetais un coup d’œil… Je voulais aller vous