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ARTACHEFF.

C’est terrifiant !…

OSTERWOOD.

Elle a tout calculé pour ne pas se manquer… Oh ! cette bouche tordue !… cette pâleur !

LEPAGE, (sanglotant de toutes ses forces.)

Mon enfant !… Est-ce possible ! Toi ! tu as fait cela !… Et tu es partie sans rien dire à ton vieux maître !… Thyra !…

(Ils sont là, prostrés, éperdus, à genoux… Corneau, plus effrayé que les autres, parce qu’il est plus jeune, reste agrippé à la table dans une expression d’horreur.)
LIGNIÈRES, (il lit.)

Mes amis, il est cinq heures quand j’écris. J’ai préparé cette lettre. Vous la lirez ce soir, car je sais que Philippe ne reviendra pas, j’en ai la certitude… D’ailleurs, la vie et l’espoir ne m’étaient plus permis… Mes amis, maintenant, il est minuit quand vous lirez ceci… Mon vœu est celui-ci… exécutez-le à la lettre… Mon âme sera partie doucement au moment où vous causez, dans le bruit de vos voix aimées, dans la fumée de vos cigarettes… Ayez soin de ce corps, mes amis, que je vous aurai montré vivant quelques instants avant que, mort, je vous le confie… Conservez-en l’image dans vos yeux. Mon vœu est que vous le veilliez, jusqu’à demain matin…Mais ne me veillez pas à la façon ordinaire… Puisque je suis partie de la belle vie dans la musique, le bruit des voix et la chaleur des mots… réchauffez-moi encore de votre présence… Je m’en suis allée sans bruit, je voudrais que vous continuiez vos causeries près de moi jusqu’à l’aurore… comme si je dormais… comme vous le devez à votre petite camarade… je voudrais qu’il y eût vos fumées et le mur-