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Vous ne pouvez pas me voir, Lignières, mais tenez, cet impur cadeau, je le brise ! je le brise ! (Et ce disant elle casse et jette le collier qu’elle a arraché de son cou. On devine que ses mots amers et désolés s’adressent à Philippe, derrière elle.) Il y a des jours où l’on est en veine d’anéantissement, où en quelques heures on n’amoncelle que des ruines, où…

PHILIPPE.

Assez ! je n’en peux plus ! raccrochez cet appareil !… Donnez !… (Il la repousse, prend le récepteur et le raccroche brutalement.) Ah ! le misérable que cet homme, que ce Parisien pourri qui a osé se prêter à un jeu aussi abject !… Vous l’avez choisi, votre patito ! (Ils restent muets tous deux, les yeux baissés, sans se regarder. Alors seulement, elle s’aperçoit que, depuis le moment où elle est entrée, elle est presque dévêtue. Lui la considère. On dirait que, maintenant, elle comprend et sent la signification de ce regard nouveau. Elle prend à côté d’elle le grand manteau noir qu’elle avait rejeté tout à l’heure et elle s’en revêt complètement. Lui aussi semble très modifié. Il se met à parler d’une autre façon que tout à l’heure, calme, courtois.) Quel que soit mon ressentiment, je vous demande pardon des paroles que j’ai prononcées tout à l’heure. Je n’avais pas le droit en tout cas de vous insulter, parce que vous êtes une âme en détresse. Vous vous êtes désespérée, et perdue ! J’ai réfléchi… quelques instants m’ont suffi. Je me suis dit : évidemment, elle vient de tout saccager… dans sa folie… elle ne peut plus être ma femme… Vous êtes souillée. Vous avez ajouté à votre faute des complices, une publicité scandaleuse ! Comme vous le disiez tout à l’heure, ça, c’est l’irréparable !… Mais devons-nous rester des ennemis ? Tout mon idéal de vous vient de s’effondrer, mais