Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 7, 1922.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

estimez alors bien peu !… Rassurez-vous, l’amour vrai peut ne pas être éternel, mais il est unique ! Ne vous comparez pas, je vous en prie !… (Elle le dit avec une ferveur navrée. Reprenant.) Oui, sans doute, vous auriez préféré que je me lamente dans un coin avec l’admiration et la pitié de tous ! Jamais !… Je ne suis pas cette victime-là, Philippe !… Du moment que l’art et l’amour sont écartés, il me faut tout ! Le reste ne suffit pas !

PHILIPPE.

Tout !

THYRA.

Même la possibilité de plaire dans la rue ! Que mon corps pleure de souffrance et crie, mais que quelque chose qui est au-dessus de moi se réjouisse de vivre ! Désormais, avec quelle passion religieuse je regarderai la nature et les êtres qui vont m’être ravis ! Musique, peinture, livres, monde, luxe, rire, volupté ! Je veux me gorger de tout, me confondre avec tout ! mourir avec extase, dans l’adieu à tout ce qui fut humain, et je vais avancer quand même, les yeux fermés, mais les mains tendues, comme quelqu’un prêt à être englouti !…

PHILIPPE.

Je vous hais ! Je vous hais ! Oh ! le cynisme de votre récit ! Pas même la honte de vous !… pas même la pudeur de voiler devant moi l’insouciance d’une débauche résolue !

THYRA.

J’accepte votre colère comme un surcroît de douleur !