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ler la santé du rire, me mêler à la sueur saine de la foule… Et je suis entrée dans ce bal, Philippe, au milieu de la joie des désirs et des appétits, comme une païenne désespérée, résolue à tout, avec le frisson que devaient avoir les belluaires antiques lorsqu’ils entraient dans l’arène !… J’ai bu, Je me suis enivrée, j’ai dansé, j’ai chanté… (Elle s’arrête.) Le reste, vous le savez, ne me le demandez pas ! Ce trésor chaste de mon corps que j’avais réservé, tout l’amour que je vous gardais, hélas ! tout cela n’est plus ! (Désespérément.) Quel regret !… Une nuit a suffi pour saccager tous mes rêves !… Il n’y a plus devant vous… dans cette lugubre aurore… qu’une pauvre loque humaine, une vaincue qui se réveille et qui peut dire, comme Juliette à l’aurore : « Quoi, l’amour ?… ce n’était que cela ?… » (Elle le dit triste, avec un immense écœurement.) Maintenant, vous savez tout… j’ai eu le courage d’arriver au bout de ma confession. Ne me torturez plus et allez-vous-en vite, je vous en prie, car il est quatre heures du matin, je suis lasse et j’ai très froid !

(Elle tombe dans les coussins, épuisée.)
PHILIPPE, (après un long silence.)

Non, je ne sais pas tout. J’écoutais, sans interrompre, cette confession atroce, en effet, mais vous passez sous silence les choses capitales pour moi, la seule chose qui me regarde… les heures que vous venez de vivre avec cet inconnu. Ce que vous me révélez maintenant de votre santé et qui, hier, m’aurait navré ! toutes ces tristesses qui font que je vous aurais serrée dans mes bras en sanglotant, je ne les écoute même pas en ce moment ! (Repoussant avec rage toute idée de pitié.) J’ai le souvenir d’une scène ignoble dans ce bal !