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vieille folie humaine… Sentir que c’est beau, cela suffit, et comprendre pourquoi c’est beau, voilà le plus haut bonheur ! Il n’y a qu’une seule chose terrible dans la vie, c’est de n’en être pas ! Voilà l’abomination !… (Elle se redresse.) Il faut avoir ou mourir… Je ne suis pas de celles qui désirent sourdement et restent là… J’aurai !… Oh ! voir ! voir !… tous les pays que je n’ai pas vus et que je m’étais réservé de voir avec mon amour !… les montagnes de Sicile, la Grèce, l’Inde, surtout l’Orient !… Oh ! jouir de l’été encore cinq ou six fois, écouter encore les pluies d’automne, étirer ses bras au printemps !… J’adore ! j’adore ! Tout voir, tout avoir !… Dieu ! c’était si beau ! Et tout ce qu’il y avait dans cette tête ne peut pourtant pas être perdu tout à fait, n’est-ce pas ?… Ce serait trop révoltant !… Et mon petit corps non plus, il ne faut pas qu’il ait vécu en vain, mon corps intact que je n’asservirai pas à la maladie, ah ! ça ! je vous le garantis ! Non, je ne lui mettrai pas de la flanelle ; non, je ne le salirai pas avec de l’iode… Quelle saleté !… Guérir… traîner ?… Pouah !… Je ne serai pas la Mimi sentimentale qui pleure et meurt en respirant un bouquet de violettes de deux sous ! Puisque je renonce à vous et à l’art… que mon corps soit jeté en pâture à mes instincts et mon esprit à la connaissance !…

PHILIPPE.

Ah ! nous y voilà donc !…

THYRA.

Et je n’ai que le temps, Philippe, que le temps !… Bon Dieu, ça va être court, mais beau, je vous le garantis, et sans remords, comme cela doit être ! Que je puisse dire à la vie : « Si je ne t’ai pas