Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 7, 1922.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps de course pour toucher les deux bouts ! Et lui aussi il me disait cela très simplement : cinq ans, six ans ! du bout de sa cigarette !… Il ne savait pas qu’il me condamnait une seconde fois !… Et voilà !… Inutile de faire l’effort puisque je ne peux arriver au haut de l’escalier, puisque je n’aurai pas le souffle pour monter jusqu’au bout !… L’art sans réalisation possible… sans l’avenir… À quoi bon ?… À quoi bon y aspirer ! Il n’y a plus rien à attendre… Pourquoi se fatiguer et se martyriser l’âme, pour du néant !… Et, d’un geste net, inflexible, j’ai renoncé à tout jamais, purement et simplement ! J’ai ouvert cette fenêtre. Sous le rayon de soleil qui l’éclairait, j’ai regardé une dernière fois la pauvre petite chose qui représentait tous mes espoirs, toutes mes transes, toutes mes vertus (Un sanglot l’étouffe encore.), et je l’ai broyée comme j’aurais broyé ma vie, ou ce qui m’en reste, et je me suis juré que plus jamais je ne toucherais un ébauchoir !… Je tiendrai parole !…

PHILIPPE.

Vous avez fait cela !… Vous avez eu cet affreux courage ?

THYRA, (se redressant.)

Oh ! j’ai fait plus. C’est à ce moment que vous êtes entré, vous… vous, ma paix, ma douceur future, vous dont la seule présence me détendait le cœur, vous qui faisiez que, lorsque je me réveillais le matin, mon premier cri était : « Mon Dieu ce n’est pas juste d’être heureuse à ce point-là ! c’est trop ! » Oui, vous êtes entré… et je me suis représentée mourante dans vos bras, vous étreignant avec des cris de regret. Oh ! vous laisser un jour l’horreur des solitudes, et j’imaginais la déchéance lente, la consomption près de votre ro-