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très malade, etc., etc… Alors, en cinq minutes, oh ! pas plus… en cinq minutes, j’ai été édifiée. Ça c’est abattu comme un coup de massue sur ma tête ! Je ne voyais plus rien ! Je n’entendais plus rien ! Les mains de glace, les mâchoires contractées, je regardais ce gros docteur avec des yeux éperdus !… J’avais entendu ce qu’il murmurait à son assistant !… Troisième degré ! ! ! Enfin l’horreur ! l’horreur !… Je me suis enfuie… Deux heures se sont passées encore à obtenir de-ci, de-là, tous les renseignements. Je suis montée chez trois médecins du quartier. J’étais avide de savoir… Je voulais savoir les phases de l’avenir !… J’ai su !… Certes, ce n’est pas la mort, mais c’est la vie désormais limitée… Cinq ! six ! ! peut-être dix ans de vie ! la durée du bail de notre hôtel !… Je ne guérirai jamais. Il y en a un qui m’a dit cela tout simplement, comme la chose la plus naturelle du monde. Avec des soins pourtant… l’exil des sanatoriums, des altitudes… qui sait ?… Ah ! il m’a semblé que j’allais devenir folle ! Je me suis mise à marcher droit devant moi… jusqu’à Suresnes. J’ai côtoyé la Seine ! J’allais toujours ! Quand je me suis sentie morte de fatigue, je suis rentrée chez moi, couverte de poussière… Mais, après le coup effroyable, cette méditation marchée de deux heures avait porté ses fruits. Deux heures pour s’habituer à l’idée de la mort cela n’a l’air de rien, n’est-ce pas ? C’est énorme !… Les cinq premières minutes, on pense qu’on ne pourra pas la supporter, il semble que la mort ça ne peut pas se regarder fixement, pas plus que le soleil !… Eh bien, au bout de deux heures, je ne vous dirai pas que je m’étais apprivoisée à l’idée, mais ce n’était plus la mort elle-même qui me faisait peur. Dix ans ou cinquante ans de vie,