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les mêmes nuits très bleues sur les mêmes terrasses,
et le même air banal, nostalgique et tenace
qui fait flotter sa traîne au bord des casinos.
Nous, c’est fini… pour jamais plus… pour jamais plus !…
Retrouve-moi au fond de la musique et pleure,
avec ton pauvre amour à mon cou suspendu.

ELLE, (continuant toujours de jouer.)


Je trouve que cet air me ressemble…

LUI, (vague, avec des larmes dans la voix.)


Je trouve que cet air me ressemble…Oh ! beaucoup !

ELLE, (s’interrompant et laissant brusquement retomber le bois du piano.)


Décidément, qu’avez-vous depuis tout à l’heure ?…
On dirait qu’un mauvais génie est là, présent.
Pas un seul mot de vous qui ne soit franchement
odieux…

LUI.


odieux…Mais…

ELLE.


odieu… Mais…Blessant. Une tasse de thé,
Je vous prie, et faites-moi donc la charité
de vous taire !…

(Au comble de l’énervement contenu, elle va se jeter à gauche, sur un tas de coussins empilés, et de dos à lui.)
LUI, (après une hésitation — presque méchant.)


de vous taire !…Avant tout, je suis obéissant…

(En allant à la table à thé, il fredonne l’air de la Bohême. Dans l’air passe une dernière bouffée de violons. Il prépare le thé en silence.)