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À M. JULES CLARETIE

PROLOGUE





Le passé c’est un second cœur qui bat en nous…
On l’entend, dans nos chairs, rythmer, à petits coups,
Sa cadence, pareille à l’autre cœur, — plus loin.
L’espace est imprécis où ce cœur a sa place,
Mais on l’entend, comme un grand écho, néanmoins,
Alimenter le fond de l’être et sa surface.
Il bat. Quand le silence en nous se fait plus fort
Cette pulsation mystérieuse est là
Qui continue… et quand on rêve il bat encor,
Et quand on souffre, il bat, et quand on aime, il bat…
Toujours ! C’est un prolongement de notre vie…
Mais si vous recherchez, pour y porter la main,
Où peut être la source heureuse et l’eurythmie
De son effluve… Rien !… Vous ne trouverez rien
Sous les doigts… Il échappe. Illusion !… Personne
Ne l’a trouvé jamais… Il faut nous contenter
D’en sentir, à coups sourds, l’élan précipité,
Dans les soirs trop humains où ce grand cœur résonne.


Le passé ! Quel mot vain ! C’est du présent — très flou.
C’est du présent de second plan, et voilà tout.
Il n’est pas vrai que rien jamais soit effacé.
Le passé n’est jamais tout à fait le passé.
N’avez-vous pas senti comme il rôde partout,
Et tangible ? Il est là lucide, clairvoyant.
Non pas derrière nous, comme on croit, mais devant.
L’ombre de ce qui fut devant nous se projette
Sur le chemin qui va, sur l’acte qui s’éveille.
Ce qui est mort est encor là qui nous précède,
Comme le soir on voit, au coucher du soleil,