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ARMAURY.

Oui, certainement, je le pense, je le pense de toutes mes forces…

FANNY.

C’est bien ce qu’il y a de plus abominable, c’est que tu le penses ! C’est qu’en effet tu peux me croire toutes les qualités, sans m’aimer pour cela, si peu que ce soit !

ARMAURY.

Fanny, si j’osais m’expliquer, si je l’osais, j’irais jusqu’à dire, en toute sincérité, que…

FANNY, (vivement.)

Que tu m’aimes ?… Eh bien, ne le dis pas, car ce ne serait pas vrai. Oh ! je sais que, malgré tout, tu as de l’affection pour moi. Tu vois jusqu’où je vais ? Qui sait même si, à certaines moments de ta vie, dans les grands jours, tu n’as pas eu de la tendresse !…

ARMAURY.

Une tendresse immense, une sympathie de tous les instants…

FANNY.

C’est bien possible ! Mais tu ne m’as jamais aimée, Marcel, tu ne m’as jamais aimée… (Elle hésite.) physiquement. Oh ! ne proteste pas ! ce sont des choses qu’on n’ose pas se dire durant quinze ans… on ne l’ose pas, par un sentiment humilié facile à comprendre, mais, maintenant, qu’est-ce que je risque à me l’avouer !… Tu m’as désirée huit jours, un mois peut-être…, tu vois que je précise…, les premiers temps de notre mariage ! Et encore ! En tout cas, ç’a été tout ! Pourquoi ? j’en valais bien une autre ; je n’étais pas laide : je n’étais pas sotte ; bien des hommes m’ont fait