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s’arrêtera-t-il ? » Tu te demandes combien nous sommes à tes trousses ? N’est-ce pas ?

ARMAURY.

Oh ! c’est un calcul facile à faire ; mais, les autres… voilà qui m’est égal ! Il n’y a que toi qui comptes, Fanny…

FANNY.

Je m’en doute. (Elle relève sa voilette. Ils se regardent.) Je suis venue… quel voyage !… oh ! mais pas pour ce que tu redoutes. Va, tu n’auras pas la scène de larmes… tu ne l’as jamais eue de moi, c’est une justice à me rendre, n’est-ce pas ? Maintenant que je souffre, que tout est écroulé, que je suis la plus malheureuse des femmes, tu ne l’auras pas davantage… Oh ! certes, mon premier mouvement a bien été de me venger, de me joindre à eux pour venir te crier des injures. Tu es parti si lâchement l’autre jour, sans même une précaution, sans la plus petite délicatesse ! Alors, je les ai suivis… Mais tu n’auras ni mes larmes ni ma colère, cela non plus, Marcel. Les autres croient, en ce moment, que je suis déjà à tes pieds sans doute, à te supplier, à m’accrocher à toi. Ils escomptent que je vais tout sauver, emporter d’un coup la situation ! Non, non… j’ai réfléchi en voyage, je me suis calmée. Je ne te donnerai pas le spectacle de ma détresse. Pour ça, les quatre murs d’une chambre solitaire suffisent et valent mieux.

ARMAURY.

Je sais que tu n’as aucune bassesse, Fanny, aucune humilité, même dans la douleur…

FANNY, (souriant tristement.)

Je n’ai que des qualités, n’est-ce pas ? Dis-le, dis-le donc !…